Aller au contenu

Laetitia Dari : Quel avenir pour la filière bois ?

 

 

  • Pourriez-vous vous présenter brièvement et nous parler de vos recherches ? 

Je m’appelle Laetitia Dari, je suis enseignante-chercheuse à l’Université d’Aix Marseille et membre du laboratoire Cret Log (Centre de Recherche sur le Transport et la Logistique). J’ai travaillé pendant de nombreuses années sur la filière du liège en France. Mes recherches portaient sur la structuration des relations entre acteurs pour redynamiser ou relancer cette filière.

 

J’ai notamment pu mettre en évidence le rôle clé des acteurs tiers (ASL, associations, etc.) dans le développement de projets collectifs, avec des retours d’expérience plus ou moins positifs selon leur niveau d’influence (exemple du Var ou de la Corse). Ces recherches m’ont aussi permis de montrer la capacité de certaines entreprises à coopérer tout en restant concurrentes afin de relancer leur filière et l’exploitation de la matière première (exemple de l’Aquitaine avec Le Liège Gascon).

 

Au fil de ces années de recherches j’ai constaté que le consommateur est souvent absent des réflexions qui sont menées. Je me suis également aperçue que la notion de territoire était souvent abordée en filigrane comme un élément structurant les relations. En élargissant mes recherches à la dimension consommateur/marketing et au territoire, mes travaux se sont progressivement orientés sur l’analyse des marques territoriales dans la filière du bois.

 

Je mène actuellement une série d’entretiens avec les représentants de ces marques et leurs adhérents. L’objectif de ce travail est de comprendre de quelle manière la marque valorise la ressource locale et le territoire dans et pour lequel elle a été créée.

  • Quel est votre constat ?

Il existe aujourd’hui une grande diversité de marques dans la filière bois : marque simple, label, certification, AOC. Elles sont à l’initiative soit des entreprises, soit des communes forestières.

 

Elles divergents donc sur certains points car l’objectif initial n’est pas le même. Certaines d’entre elles sont plus souples à mettre en place, alors que d’autres ont une démarche en matière de traçabilité plus poussée. Quoiqu’il en soit, l’intérêt majeur est de pouvoir valoriser la forêt française ainsi que les bois locaux. Toutes ces marques permettent de concurrencer les bois étrangers venus d’Allemagne ou des pays scandinaves. Elles sont un formidable outil pour s’adresser aux prescripteurs, aux pouvoirs publics et aux consommateurs. Elles les informent de l’existence d’une ressource de qualité à proximité de chez eux et les sensibilisent pour que celle-ci soit exploitée. Cela ne coûte pas toujours plus cher et cela valorise surtout le territoire et les entreprises locales.

 

La grande variété de ces marques amène toutefois un manque de visibilité. Définir le périmètre d’action de chacune d’elles est donc essentiel pour éviter une concurrence frontale.

 

Toutes ces marques ont une spécificité à défendre tout en étant complémentaires entre elles. Par exemple, lorsqu’un projet nécessite l’utilisation de bois locaux, il peut être envisagé de faire appel à une marque de certification ou un AOC ; puis, de venir compléter avec d’autres bois, issus de forêts françaises, porteurs d’une marque simple ou d’un label.

  •  Comment envisagez-vous l’évolution de la filière bois dans les 10, 20 et 30 prochaines années ?

La période Covid a mis en évidence l’importance de travailler avec les marchés locaux, en circuit-court. Il y a un intérêt économique (valorisation des petites et grandes structures, création d’emplois sur le territoire, etc.) et puis surtout un intérêt humain.

 

 

Nous arrivons dans une période où les entreprises et les consommateurs doivent faire des choix et se positionner en matière environnementale. Ces choix doivent être plus cohérents, responsables et durables. La structuration de la filière est également un enjeu essentiel. La création des marques territoriales permet déjà d’aller dans cette direction. Il est désormais indispensable de faire dialoguer les acteurs entre eux et qu’il y ait un pilote dans la filière afin de lui apporter plus de cohérence.

 

Dans un premier temps il est indispensable d’avoir cette réflexion en amont pour favoriser la structuration de la filière, mais aussi que les marques territoriales aient un réel intérêt économique pour les entreprises qui y adhèrent.

 

Dans un second temps il est important de prendre en considération l’aval. Les prescripteurs et les élus jouent un rôle fondamental, mais il ne faut pas oublier le consommateur final dont les comportements d’achat/consommation peuvent être impactant sur les marchés.

 

Voilà selon moi où doit se situer l’évolution de la filière : faire des choix responsables en répondant à l’enjeu écologique, structurer la filière d’amont en aval, et rendre économiquement viable toutes ces marques.

  • Quels sont, selon vous, les principaux enjeux pour les particuliers et les collectivités en ce qui concerne la filière bois ? 

La filière bois doit davantage instaurer le dialogue avec l’aval de la filière. Il faut clarifier le discours, pouvoir identifier le rôle de chaque acteur, savoir à qui s’adresser. Il également nécessaire que les particuliers sachent aussi ce qui se fait en forêt, en France, les projets, etc. Il faut en quelque sorte que la filière bois fasse partie de leur quotidien, quelle leur soit familière comme l’est déjà la filière agro-alimentaire. Cela nécessite donc de communiquer auprès du grand public : qui sommes-nous, que faisons-nous, quels sont nos produits, etc., peut-être utiliser l’humour pour marquer les esprits. L’approche marketing peut très clairement aider pour mettre en lumière cette filière.

 

Quant aux collectivités, il me semble qu’elles jouent déjà un rôle, notamment dans le développement des marques territoriales (certification et AOC). Le côté chauvin de certains élus, même si cela a parfois du bon pour les territoires, doit toutefois être modéré. Ces marques sont ainsi souvent dépendantes des marchés publics. Or, tout l’enjeu pour une entreprise est de pouvoir rester dans une dynamique concurrentielle qui peut être salvatrice en matière d’innovation par exemple. Mais rien n’empêche d’avoir parfois un coup de pouce des élus !

  • Si vous deviez transmettre un message important à notre lectorat, quel serait-il ?

La forêt française est belle et diverse en termes d’essences, de pratiques sylvicoles, etc. Il y a un vrai patrimoine qui doit être conservé et valorisé auprès des prescripteurs, des élus et du consommateur final. Il faut que la filière se structure pour pouvoir mettre en lumière le travail des entreprises. Et plus largement, que les acteurs apprennent à échanger et à coopérer quand cela devient nécessaire.

 

Il y a un objectif commun à tous : redonner ses lettres de noblesse à la forêt française à travers les entreprises du territoire qui sont détentrices de savoir-faire et de compétences.

 

Le bois français n’est pas toujours très « beau », pas toujours très standardisé. Mais il existe et il a de réelles qualités. Il faut donc encourager les prescripteurs et les clients à l’utiliser pour donner plus de sens aux projets qu’ils développent ou à la manière dont ils consomment.

 

 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *