Jean-Laurent Félizia est spécialiste du biome méditerranéen, conférencier et dirigeant de Mouvements et Paysages.
Le changement climatique, quels impacts ?
Là, il va sans doute être percutant et opérer de grandes mutations de paysages et sans doute à des déplacements de population plus végétale que animale. Le changement climatique va être impactant dès lors que l’on va passer les 600/700 mètres d’altitudes, là où par exemple le chêne-liège devient moins présent, là où l’on voit apparaître le chêne pubescent, là où disparaît le pistachier lentisque (voir photo ci-dessous), où se sédentarise voire s’étendent les populations d’arbousier ou d’érable quand il y en a.
Et donc en fait ce changement climatique va se traduire par des mutations qui auront lieu de manière beaucoup plus rapide que ce que l’on peut croire, c’est à dire des mutations où des écotypes à forte résistance vont prendre le dessus sur d’autres écotypes qui vont disparaitre au sein d’une même espèce. On va voir des facultés d’adaptation qui vont se traduire par exemple par des marcescentes estivales, c’est à dire des plantes qui vont perdre leurs feuilles une fois que l’été aura été dépassé au-delà d’une certaine limite de température, ce qui ne veut pas dire que ces plantes vont adopter la caducité dans leur comportement biologique mais pourront couper leur rythme biologique permanent, en opérant des estivations, donc des repos de manière estivale comme on peut le voir chez le chêne caduque, c’est un comportement qui va être transitoire.
Au-delà de ces observations qu’on a pu déjà relever depuis 10 ans, le gradient de température semble se stabiliser, c’est un 2,1° qui commence déjà à se révéler, de là à dire que les paysages vont se transformer au-delà de ces plantes que je viens de décrire, c’est difficile à dire mais si on poussait encore plus loin, à l’extrême, cette mutation, on pourrait dire que les forêts qui était dites à strates intermédiaires, donc au-delà de 6 mètres n’existant pas dans le climat méditerranéen ou méso méditerranéen, on va peut-être aller vers un matorral c’est à dire un maquis très très bas comme on peut le voir dans certaines parties de l’Espagne très touchée par le déficit hydrique, au Chili ou en Californie, très épais, très prostré, comme au Mont Faron ou au Coudon quand le chêne-kermès s’installe.
Oui, mais ça, c’est dû aux incendies aussi..
Oui tout à fait, ce qui ne veut pas dire que le changement climatique équivaut à une perte de diversité biologique car dès lors que les milieux s’ouvrent, on a une prééminence de strates herbacées qui peut être beaucoup plus riches qu’une strate arbustive ou arborescente épaisse qui couvrent le sol, d’autant plus avec les conifères et l’ombre portée, en tout cas, une densité au sol qui est importante.
Est-ce que le chêne-liège peut être résilient au changement climatique ainsi que le châtaignier, deux essences phares et identitaires du massif des Maures, futur Parc Naturel Régional ?
Si on reprend l’origine des habitats naturels, on ne peut pas s’empêcher de dire que par anthropomorphisme, que ce soit le châtaignier comme le chêne-liège, ce sont des arbres qui ont été cultivés, et qui ont été domestiqués au point d’en faire des arbres à un moment donné qui sans la main de l’homme sont en difficulté et donc par conséquent comment on peut faire retrouver à ces deux espèces végétales un caractère naturel qu’à l’origine ils pouvaient avoir dans les milieux où ils évoluaient ?
Le chêne-liège quand on le prend dans ses habitats où on le retrouve encore quelque peu, ce n’est pas une espèce qui évolue selon des troncs mais plutôt des cépés, et les châtaigniers la même chose, d’ailleurs quand ils sont abandonnés, rapidement, ils reprennent cette habitude.
Si on arrive à retrouver des écotypes et faire en sorte que ces espèces-là soient sélectionnées ou sélectionnables, ce qui veut dire qu’il faudrait relancer une filière de production de ces écotypes résistants et à la forte résilience et peut être les repérer dans des habitats, les sélectionner, les multiplier, donc dresser une cartographie aujourd’hui des zones de résistance aussi bien du châtaignier que du chêne-liège (que l’on peut rencontrer jusqu’à 1000 mètres). Ensuite soit on multiplie, soit on veille à ce que les couverts végétaux ne soient pas trop perturbés ou artificialisés au point de grever leur reproduction naturelle, mais cela peut être les deux, à la fois cultivés, à la fois favoriser l’expansion de ses couches dites écotypes résistantes.
Dans tous les cas, l’approche doit être plus douce, car dès que le chancre est apparu on s’est aperçu quand même que la propagation de ce chancre était étroitement liée à l’usage des machines.
Et en termes d’avenir économique ?
Si ça n’a pas un avenir économique, ça a un avenir aussi de canopée. Sans doute on aura intérêt à garder des lisières périurbaines, parce qu’en fait je pense qu’en périurbain on a tous plus le réflexe d’entretenir les milieux naturels que ce qu’on aura comme capacité économique à le faire dans des milieux beaucoup plus isolés. Donc c’est peut être un outil urbanistique à intégrer dans les PLU : entretenir des forêts périurbaines, pour les fameux îlots de chaleur et puits de carbone. C’est quelque chose qu’il serait intéressant de confier aux législateurs, au lieu de débroussailler comme des calus, faire de ces lisières un lieu écologique et culturel voire économique.
Faut-il accompagner ce changement climatique ?
Il faut associer l’écriture d’un projet sylvicole forestier à la prévention des risques naturels, il y aurait un outil à inventer : “je préviens des risques naturels en étant sylviculteur et forestier, je contribue car j’entretiens, j’accompagne, je m’accommode aux contextes qui sont les miens à la prévention des risques naturels (feu de forêt, érosion des sols, inondations) et la nécessité de maintenir une biodiversité”. En fait, au lieu d’être dans une démarche intensive, on est dans une démarche dynamique et extensive, c’est à dire qu’on n’est plus dans une forêt où on a isolé les sujets pour pouvoir les approcher et les cultiver, on est dans des forêts beaucoup plus denses et alvéolaires, et en même temps justement on travaille ce phénomène de culture alvéolaire pour prévenir des risques naturels.
Mais dans notre massif, on est loin d’une économie réelle…
Oui, donc c’est rémunérer ceux qui interviennent dans la forêt et conjuguent à la fois l’exploitation de leur matière et la protection des biens et des personnes, soit subventionnée soit exonérée, soit défiscalisée car ils participent à leur manière à la protection.
C’était autrefois les contrats de territoire. Avoir collectivement une approche économique et écologique, créer des maisons forestières comme il y en avait autrefois pour pouvoir avoir des pistes de vulgarisation auprès du grand public et de compréhension des enjeux, et faire en sorte que ce soient des métiers qui ne soient pas marginalisés.
Concernant les essences exotiques, faut-il en planter et si oui lesquelles ? On parle notamment beaucoup en ce moment du paulownia.
Je n’y suis pas favorable bien que je ne sois pas fermé à l’évolution d’un paysage au travers d’intrants, cela c’est toujours fait depuis 10 000 ans. Si on devait attester de l’origine des chênes aujourd’hui en Méditerranée, on serait assez surpris, puisqu’il y a 65 000 ans, on avait du palmier doume qui aujourd’hui ne résiste plus que dans certaines contrées marocaines ou d’autres palmiers qui ont disparu du règne végétal. Je ne suis pas trop attaché à la notion d’exotisme et du moins je ne la diabolise pas, pour autant nous avons le potentiel existant pour travailler justement sur les espèces résilientes et résistantes au point d’en faire un atout pour un support primaire à d’autres espèces et avant d’aller chercher quelque chose qui pourrait perturber un milieu qui serait à même de résister par lui-même. Je crois qu’il faut travailler sur les essences indigènes et ce cortège floristique qui est tellement important, voire même retravailler sur des espèces qui ont été plus ou moins négligées, comme des aubépines, des poiriers sauvages, des arbousiers, qui sont des arbres de milieu naturel, certes domestiqués mais qui pourraient retrouver leur place assez majeure. L’azérolier aussi.
Au plus on variera cette palette végétale, au plus on participera par une cohabitation étendue de plantes différentes au changement climatique, la monospécificité ou la restriction d’espèces dans un espace restreint est une prise de risque vers laquelle il ne faut pas aller.
Forêt Modèle de Provence dans le cadre d’un dossier Fonds Vert porté par le Syndicat Mixte du Massif des Maures mènera une vaste étude sur l’adaptation au changement climatique du Massif des Maures :
La co-construction est toujours la bienvenue, pour cette action et les autres, si cela vous intéresse, n’hésitez pas à nous contacter : nicolas.plazanet@foretmodele-provence.fr |