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Design : Estelle Delesalle et Juliette-Andréa Elie

Rencontre avec Estelle Delesalle et Juliette-Andréa Elie

🏆 2ème prix du concours Quercus Suber 2022 🌳 exposé et remis à la Villa Noailles, Estelle Delesalle et Juliette-Andréa Elie ont été récompensées pour leur projet de Crayon « Écrire le temps du feu », elles répondent à notre interview. 

Qui êtes-vous ?

Nous sommes artistes plasticiennes et nous nous sommes rencontrées en 2015 à la Cité Internationales des Arts de Paris. Rapidement nous avons organisé (et participé) à des projets communs. 

Estelle Delesalle :

Je vis entre Avignon et Zurich. J’ai suivi un double cursus en Histoire de l’Art et en Ecole d’Art. En tant qu’artiste, je me suis prise au jeu de ce double regard, basculant et réinterprétant des formes et récits du passé dans notre contemporanéité. Mes œuvres sont protéiformes, j’ai à cœur de trouver une justesse entre le propos et l’objet, cela m’amène à traverser de nombreux univers plastiques. J’ai, par exemple, collaboré avec l’Opéra de Paris autour du « son des corps dansants », exposé aux Kyotographies au Japon… Récemment soutenue par la DRAC PACA (Direction Régionale des Affaires Culturelles), j’ai abouti une forme d’extraits de paysages vivants :  les Jardins Reliquaires. Je travaille actuellement à l’élaboration d’un projet entre mémoire et miroirs en lien avec Pompéi. 

Juliette-Andréa Elie : 

Je me suis installée à Paris après mon DNSEP à l’Ecole des Beaux Arts de Nantes et j’ai la chance de vivre depuis peu dans un atelier logement de la DRAC Ile de France, dans le pittoresque village d’Auvers sur Oise. Ma pratique est centrée sur le medium photographique qui m’interpelle comme matière lumière. Je crée des objets, en sculptant chaque tirage par gaufrage ou dorure à chaud. Je collabore avec la galerie Baudoin Lebon (Paris) et participe régulièrement aux foires (Photo St Germain, Paris Photo, Art Bruxels, Photo Basel et AIPAD à New York) et festivals (Circulation(s), Voyage à Nantes, Biennale de l’Image Tangible.)… Mon dernier projet a reçu en 2020 le soutien du Mentorat des Filles de la photo et je viens de l’exposer dans ma dernière exposition personnelle à Vertou près de Nantes. C’est une réflexion plastique sur les mégas feux en Australie, leurs causes humaines et plus largement sur les relations à rêver entre les humains et les autres vivants.

Pourquoi avez-vous participé au Concours Quercus Suber 2022 🌳 ? 

Lorsque nous avons découvert l’appel à concours de cette édition particulière liée à l’incendie du Massif des Maures, ce fut comme une évidence ; nous devions tenter de relever le défi. 

Depuis quelque temps déjà, nous cherchions une occasion pour œuvrer ensemble, car au travers de chemins différents, nous nous rejoignons autour de la question de la brûlure et du paysage. C’est donc avec enthousiasme que nous nous sommes mises au travail afin d’imaginer un objet – qui soit à la fois commun à nos deux sensibilités et qui tente de répondre à l’engloutissement d’une forêt magistrale par les flammes. 

Quelle a été votre inspiration ?

Juliette-Andréa Elie : Ce projet va dans la lignée de mes toutes dernières préoccupations sur les feux, sur le devenir de ces territoires brûlés. Je venais justement de faire des recherches sur le chêne liège pour un projet et ce fut très émouvant de l’avoir en présence à l’atelier après qu’Estelle m’en ait rapporté. Ce bois contient en lui une force et une fragilité en même temps. Il combat les flammes longtemps grâce à sa couche de liège et arrive parfois à s’en sortir, en faisant renaître de son coeur intact de nouvelles branches. C’est un modèle de résilience. J’aime à penser qu’il y a des actes artistiques qui renouent avec le vivant, qui guérissent nos liens malades entre humain et forêt. Ici j’avais envie d’utiliser la dorure sur une partie de notre crayon, rendre perceptible le secret de sa puissance. La dorure qui sublime la brisure.  

Estelle Delesalle : Pour ma part, la question de la « mémoire contenue dans les cendres » est régulièrement présente dans mon travail. Cela peut prendre différentes formes, comme l’étude de la palingénésie d’une rose par exemple. J’ai à l’esprit cette croyance antique qui raconte que par certains actes, nous pouvons réactiver la mémoire endormie des cendres pour qu’elles s’adressent de nouveau au présent.

Aussi, pour ce projet précis de crayon, ce sont les images de cet incendie de l’été 2021 qui m’ont marquée et cette phrase que je ne cessais de me répéter alors : les flammes ont à nouveau redessiné le paysage.

Quelles ont été vos difficultés ?

Nous dirions plus défi que difficulté. 

Le matériau, nouveau pour l’une comme pour l’autre car n’avions jamais œuvré avec le bois frontalement. Et nous voulions le bois, l’arbre et l’incendie ensemble ! 

Il était important pour nous que notre proposition témoigne de cet événement particulier, ainsi que de l’arbre en tant qu’individu. Et cela en gardant à l’esprit les fondamentaux du design, tout aussi nouveau pour nous entant que plasticiennes : un objet, reproductible, à la fois utilitaire et esthétique, ayant, en tant que faire se peut, une portée universelle et à l’échelle du corps humain. 

Bien entendu, il fallait que transparaisse aussi notre vocable d’artiste, la poésie et l’imagination. Il en résulta donc un crayon donc, tout simplement. 

Plus prosaïquement, le problème fut de travailler du bois « vert » ! Nous avons dû mettre en œuvre tout notre esprit débrouillard pour faire sécher le bois en accéléré sans perdre le charbon du feu originel. 

Êtes-vous satisfait du résultat ? Quel est l'avenir de votre projet ? Vos prochains projets ?

Nous sommes très heureuses du résultat de notre collaboration, il est incontestablement commun à nous deux univers ce qui n’est pas si aisé lorsque deux artistes travaillent ensemble. L’amitié et la quête de sens furent notre socle. 

Nous apprécions l’humilité de l’objet en lui-même – un crayon. Il nous semble que nous avons réussi à trouver une justesse dans notre propos. Car que pouvons-nous faire face à la démesure d’un tel incendie, si ce n’est de continuer à redessiner – à réécrire ? Et cela en laissant au souvenir, une possibilité de s’exprimer. 

Grâce à ce concours, nous allons pouvoir montrer ce projet au festival de la Nature à Collobrières et à la Design Parade. Aussi, différentes variations du crayon seront mises en vente à la boutique de la Villa Noailles. 

Quant à la suite, nous projetons de faire une série plus large de ce Crayon à temps de feu, l’ouvrir à différentes essences et paysages touchés par les grands incendies. Et peut-être, aussi, en l’accompagnant de performances poétiques…

Indépendamment nous poursuivrons nos recherches plastiques respectives. 

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